A la rencontre du Comité d’Orientation Scientifique de Démos
National
26.04.21

Depuis 2018, la Philharmonie de Paris s’est entourée d’un Comité d’Orientation Scientifique dans le but d’analyser le projet Démos et la dynamique de recherche et d'évaluation qui l’entoure. Composé d’experts de renom originaires de différents continents et représentatifs des mondes académique, scientifique, économique, littéraire et artistique, il s’est réuni les 11 et 12 mars derniers.
3 questions à Françoise Benhamou, professeur d'économie à l'université Sorbonne Paris Nord, spécialiste de la culture, des médias et de l'internet
Quels rôles remplit le Comité d’Orientation Scientifique ?
L’objectif que poursuit la Philharmonie de Paris, je crois, est de mieux ajuster un programme qu’elle porte, pour lequel elle a fait un énorme travail de conviction auprès de toutes sortes d’acteurs, et qui maintenant a pris une ampleur relativement grande. Elle souhaite être accompagnée dans ce travail par des personnalités qui apportent un regard extérieur, avec une compétence qui leur vient de leur histoire professionnelle. Quand j’ai été contactée pour en faire partie, j’ai tout de suite accepté parce que je pense qu’il n’y a pas de bonne politique publique qui ne s’interroge pas sur elle-même. Je trouvais que la démarche d’aller voir des personnalités indépendantes, du milieu académique, avec des profils très différents les uns des autres, était intéressante pour enrichir et améliorer le projet, mieux le connaître, le faire évoluer compte tenu des connaissances accumulées et de l’expérience de la Philharmonie.
Nous nous réunissons donc une fois par an pour réfléchir au programme de recherche associé à Démos, pour à la fois proposer des axes de recherche et donner un avis sur ceux en cours. Nous apportons aussi un regard sur les objectifs poursuivis, qui vont largement au-delà de l’apprentissage de la musique. Les enfants vont apprendre la coordination, le respect de l’autre, le respect d’un objet, leur instrument de musique… Ils vont découvrir des lieux qu’ils n’auraient probablement jamais découvert, vont peut-être y amener leurs familles. C’est un bouleversement très profond qui peut résulter de la participation à ce projet. Aider à prendre en compte toutes ces dimensions-là, je crois que c’est un des objectifs de notre comité. De même que se questionner sur la façon dont le projet s’adresse aux enfants, aux travailleurs sociaux et à toute la galaxie des acteurs concernés.
J’ai le sentiment que notre comité a bien fonctionné jusqu’à maintenant, et que nous poursuivons un objectif à la fois très simple et très compliqué qui est d’accompagner, de proposer, d’imaginer, en liaison avec la Philharmonie. C’est une démarche à la fois d’évaluation, de dialogue, de confrontation sur des questions d’orientation de long terme.
Quel bilan faites-vous du comité qui s’est tenu les 11 et 12 mars ?
Les échanges ont été très riches. Nous avons discuté d’une thèse sur l’impact d’un mode d’apprentissage collectif de la musique sur le développement de compétences musicales, cognitives et socio-cognitives, qui se poursuit dans le cadre de la Philharmonie. Et nous avons auditionné plusieurs projets de recherche pour conduire une étude sur les liens que Démos entretient avec l’écosystème musical territorial. Nous avons apporté notre évaluation de ces projets de recherche, ce qui permet ensuite à l’équipe Démos de choisir le plus adapté sur le plan scientifique.
Nous avons aussi été force de propositions sur le fait que la France va prendre la présidence du Conseil de l’Union Européenne : il va y avoir une réunion de toutes les institutions qui portent des projets comme Démos, à laquelle il faut, selon nous, qu’une réflexion soit intégrée sur les outils et éléments de recherche pour mieux comprendre et améliorer ces programmes de démocratisation culturelle, à travers le dialogue entre les différents pays.
Nous avons d’autre part discuté du contexte sanitaire, qui a obligé l’équipe Démos à travailler en grande partie avec le numérique, et avons suggéré de capitaliser sur les apprentissages qu’elle aura fait de cette utilisation. Non pas pour rester en distanciel, mais pour garder un outil supplémentaire dans la palette de ceux qu’elle utilise. Pour les jeunes, cette période est très difficile, et on apprendra sans doute beaucoup de ce qui a manqué aux enfants en termes de sociabilité, de socialisation, de vivre ensemble... Notre prochaine réunion dans un an sera probablement consacrée à ces questions-là.
Quel regard portez-vous sur le projet Démos et ses impacts ?
Les initiatives de ce type sont pour moi fondamentales, parce que je suis persuadée que le devenir des politiques culturelles passe par les enfants et les jeunes. Face à toutes les questions qu’on peut se poser sur la démocratisation culturelle, sur les devoirs de la politique culturelle envers la nation, je trouve que Démos est un petit morceau de la réponse qu’il faut apporter.
Le projet irrigue l’ensemble du territoire, dialogue avec toutes sortes d’acteurs sociaux dans le pays dont les angles de vue peuvent être très différents, par exemple entre un territoire rural et un territoire ultra urbanisé. Cet enrichissement mutuel a été très intéressant à prendre en compte. Ce sont des éléments très difficiles à évaluer sur le court terme, mais si on forme des jeunes qui pourront développer des compétences professionnelles, au-delà du secteur culturel, grâce à cet apprentissage, et qui participent à leur manière à la déconstruction de certains clivages… Démos aura accompli un grand chemin.
Pour Christian Maroy, un rôle « d’ami critique »
Christian Maroy est professeur associé au Département d'administration et fondements de l'éducation à l'Université de Montréal, et titulaire jusqu’en 2019 de la Chaire de recherche du Canada en politiques éducatives. Il est aussi professeur émérite de l'Université de Louvain. Dans l’équipe pluridisciplinaire du comité, son regard de sociologue de l’éducation et de l’action publique était précieux pour accompagner la démarche du projet Démos à la croisée des politiques culturelle et éducative. « Pour moi, le comité a un rôle d’ami critique : l’équipe Démos nous rend compte des activités ou des conjonctures en cours, des initiatives prises, et nous réagissons de façon à la fois bienveillante et critique, c’est-à-dire en soulevant des points qui nous semblent un peu négligés ou à questionner. C’est une espèce de conversation qui permet de pointer des choses à améliorer, une expertise scientifique qui vient en soutien du projet ».
Il apprécie d’ailleurs la manière dont leurs recommandations sont ensuite prises en compte. Par exemple : pour évaluer l’élargissement du public de la musique classique permise par Démos, le comité a soulevé la nécessité de disposer d’un certain nombre de données sur les participants sur le plan sociologique, suite à quoi un grand travail a été mené pour leur collecte, permettant ainsi de mieux connaître les familles des enfants du projet. Autre illustration : l’appel d’offres sur les relations de Démos avec l’écosystème musical territorial, pour lequel des projets ont été auditionnés les 11 et 12 mars, résulte d’une piste de recherche suggérée lors du précédent comité.
Si les impacts du dispositif doivent selon Christian Maroy continuer de se mesurer sur du long terme, il souligne tout de même les caractéristiques innovantes liées à la pédagogie collective, à cet objectif d’élargissement des publics et des pratiquants de la musique (notamment classique), et à la construction de coalitions d’acteurs locaux qui opèrent un décloisonnement entre la culture, le social, et les différents types d’acteurs publics. « Toutes sortes de questions restent encore assez ouvertes. Je dirais que c’est plein de promesses ».
Membres du Comité d’Orientation Scientifique (en photo de gauche à droite) : Sharon Peperkamp, directrice du département d'études cognitives de l'École Normale Supérieure de Paris, Robert Zatorre, professeur de neurosciences à l'Université McGill et co-directeur du BRAMS (International Laboratory for Brain, Music and Sound Research) à Montréal, Christian Maroy, professeur titulaire au Département d'administration et fondements de l'éducation à l'Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politiques éducatives, Maria Majno, vice-présidente de El Sistema Europe et présidente de la Fondation Mariani pour les neurosciences et la musique à Milan, Geoff Baker, chercheur en anthropologie de la musique à l'Université Royal Holloway de Londres, Françoise Benhamou, professeure d'économie à l’Université Paris XIII, Maurice Corcos, professeur de psychiatrie infanto-juvénile à l’Université Paris-Descartes, ici représenté par sa collègue Vanessa de Matteis.